Réputés pour être des créatures enflammées, les phénix possèdent de fortes affinités avec tout ce qui peut les lier à son élément principal. Néanmoins, ils bénéficient d'une très grande faiblesse : l'eau. Ces créatures légendaires se vantaient bien de leur immortalité, mais lorsqu'il était question de ce liquide bleu, elles faisaient en sorte de disparaitre au plus vite. L'eau et le feu, ces deux sources apportaient autant la vie que la mort, et il s'agissait d'un éternel combat entre eux. Bien que l'un soit techniquement plus avantagé que l'autre, jamais il n'y avait eu de vainqueur. Les flammes détenaient cette force de caractère; elles n'abandonnaient pas leurs objectifs aussi facilement. Avec les années, elles gagnèrent une réputation de puissance, leur taille pouvant toujours s'agrandir.

Aujourd'hui, notre nouvelle arrivante allait s'aventurer au coeur d'un territoire dangereux pour elle, même si c'était sans le vouloir. Cela faisait à peine deux journées que l'hôte de l'Oiseau des mille horreurs foulait les terres de ce monde mystérieux, mais cela ne l'empêchait pas de songer à tout découvrir, de souhaiter en apprendre davantage. De nature curieuse, la belle inconnue s'arrangeait souvent pour explorer ce qu'elle ne connaissait pas. Amnésique et loin de se douter de son effrayant potentiel, elle se baladait, l'esprit libre. Son passé, son grade et ses obligations de princesse lui passèrent totalement par dessus la tête. Au final, sa vie était probablement devenue... meilleure. La demoiselle pouvait enfin profiter d'une véritable liberté, sans se soucier de quoi que ce soit. Elle n'avait plus ses parents et ses bonnes dans le dos. Cependant, elle ignorait toujours ce détail. En ce moment, il s'agissait de son instinct de survie qui prenait la gouvernance. Peut-être que cela allait se régler avec le temps, ou pas. Qui sait ?

Vêtue d'un kimono assez court de couleur rouge, l'étrange créature apparut soudainement... à un endroit inapproprié. En effet, elle ne maîtrisait pas encore ses pouvoirs psychiques et sa capacité à se téléporter lui jouait de bien mauvais tours. Sans le remarquer, Nëssa s'était retrouvée au sein d'un autre royaume, différent du précédent, celui où elle avait réalisé un magnifique plongeon en provenance du ciel. Le pire dans toute cette histoire, c'était que la région possédait de grandes affinités avec l'eau, ce qui commençait déjà à agiter l'esprit du démon Phoenix. La pauvre bête ne souhaitait que s'envoler au loin. Hélas, la nuit ne tarderait pas à tomber; le monstre devait donc s'endormir, coup de chance.

« Mademoiselle ! Que faites-vous ici ? C'est un endroit exclusivement réservé aux hommes. Oust, dehors ! » scanda-t-il. Ce vieil homme était visiblement outré qu'une représentante du sexe faible s'accorde la liberté de se balader tranquillement, à l'intérieur de son bar exclusif aux mâles. Décidément, ce monde vivait encore dans l'antiquité. L'ère moderne permettait à n'importe qui ne circuler librement au sein de n'importe quel lieu. Malheureusement, notre princesse n'avait pas connaissance de ce genre de règlement.

« Hum... Euh... Bonjour ? Je ne vois pas de quoi vous parlez. Il s'agit de votre taverne qui est arrivée sur moi. Vous faites probablement erreur. » Voici donc des paroles dotées d'une logique indiscutable. Oui, exactement, c'était son établissement qui venait de se matérialiser autour d'elle et non le contraire. Les gens sont tellement cons !

« Ma p'tite dame, arrêtez de raconter n'importe quoi et sortez immédiatement de ce lieu ! » dit-il d'un ton à la fois autoritaire et colérique. Le tavernier pensait probablement que la demoiselle s'amusait à se foutre de sa gueule, mais cela ne faisait pas partie de ses intentions du départ.

Désemparée, la mystérieuse étrangère emprunta la porte, celle qui la guida vers l'extérieur. Le soleil commençait à être de plus en plus discret et la nuit n'allait pas tarder à tomber. Affichant un air blasé sur son visage de porcelaine, Nëssa songeait aux options qui s'offraient à sa personne. À quel endroit pourrait-elle fermer tranquillement les yeux ? Dormir toute seule dehors, ce n'était pas très recommandable pour une jeune femme aussi désarmée. Si une bâtisse avait poussé tout près, peut-être qu'elle serait capable d'en créer un autre ? Mais, comment faire ? Cette situation devenait vraiment incompréhensible et il fallait qu'elle réfléchisse rapidement à une solution.

Le tavernier expulsa la jeune femme à la chevelure de neige de son commerce d'alcool. Une fois de plus, elle devrait probablement passer la nuit à l'extérieur, ce qui avait le don de l'agacer énormément. Bien qu'elle n'ait pas toujours les moyens de se le procurer, notre malheureuse héroïne préférait largement les endroits chaleureux, confortables et chics. Du coup, cela la frustrait d'être quasiment obligée de se contenter de ce qui lui tombait sous le nez. Sous le ton autoritaire du vieux torchon, la pauvre n'osa pas répliquer, de peur de subir une douloureuse claque en plein visage, puis se dirigea docilement vers la sortie de l'entreprise réservée aux personnes du sexe fort. Bon sang ! Pourquoi les hommes étaient-ils aussi sexistes ? Les femmes ne portaient pas de virus mortels sur elles; ils n'avaient aucune raison de les chasser ainsi.

Soudain, quelque chose de chaud attrapa fermement sa petite main fragile, l'empêchant alors de quitter ce bar de merde. Surprise, l'inconnue aux prunelles écarlates tourna le regard en directement de la source de son attention. Visiblement, il s'agissait d'un individu à la pilosité blonde, plus foncée que la sienne. Depuis son arrivée au sein de ce mystérieux Nouveau Monde, on l'avait régulièrement abordée d'une telle manière. Était-ce une habitude commune aux habitants ? D'ailleurs, elle n'écarta pas la triste possibilité que ce soit un potentiel agresseur. En effet, les mâles ne bénéficiaient pas d'une très bonne réputation, chez la douce créature au teint immaculé. Entre la violence et la perversité, elle ne savait pas où les catégoriser exactement.

Sans même se présenter ni lui expliquer clairement la situation actuelle, il la guida vers une table et se mit à raconter tout un blabla assez flou. Les fesses bien posées sur la chaise, la belle ne pouvait pas s'empêcher de bayer aux corneilles, tellement qu'elle était fatiguée d'entendre toutes ces histoires ennuyantes. Où, quand, comment ? Ce genre de dialogue n'arrêtait pas de la suivre partout. Croyaient-ils réellement qu'elle possédait toutes les réponses à ces questions chiatiques ? La princesse ne connaissait même pas sa propre appellation! « Je ne sais pas qui je suis et qui j'étais avant d'arriver ici. Pensez-vous vraiment que je puisse vous être d'une quelconque utilité ? » marmonna-t-elle, les yeux mi-clos. La force de lutter contre les besoins naturels de son corps n'arrivait pas à la gagner.

Nëssa ignorait les véritables intentions de son interlocuteur. Oui, découvrir la raison de leur présence en ces lieux, mais quoi encore ? Peut-être qu'il s'agissait, tout simplement, de l'oeuvre du destin, peut-être qu'il n'y avait rien à expliquer derrière cet étrange phénomène. Parfois, Dieu prenait des décisions sur un coup de tête et le bas peuple subissait ses choix médiocres... Tandis que l'atmosphère semblait calme, les clients de la taverne entendirent un bruit de cassure. Sans le souhaiter, l'hôte de Phoenix avait fait un mini accident en fracassant les vitres de la bâtisse. Les gens commencèrent déjà à s'énerver et à sentir l'air froid pénétrer à l'intérieur. Lorsqu'elle ressentait de l'épuisement, retenir ses pulsions devenait plus compliqué. « Il est dangereux de s'approcher de moi. Je ne peux pas contrôler mes pouvoirs. » soupira-t-elle, tout en constatant les dégâts que son pseudo « don » venait de réaliser. Derrière son apparence angélique et son comportement de pleurnicharde, il sommeillait un véritable danger public...

Visiblement fatiguée, la jeune femme porta peu d'attention aux paroles du mystérieux inconnu. En ce moment, il était préférable de ne pas trop en demander à son pauvre cerveau, sinon il allait exploser en mille morceaux. Néanmoins, les mots de son interlocuteur de sexe masculin réussirent à pénétrer à l'intérieur de ses oreilles. Il s'agissait probablement d'un miracle... Malheureusement, dans l'état actuel des choses, la demoiselle aux mirettes sanguines ne pouvait pas aider ce blondinet en quête d'informations à propos de ce Nouveau Monde. Encore une fois, elle se sentait terriblement impuissante.

Notre princesse ne possédait aucun contrôle sur la manifestation de ses pouvoirs magiques, ce qui la mit directement au sein d'une situation embarrassante. Ce n'était pas le bienvenu de fracasser les fenêtres d'un établissement public. Par chance, la supercherie de l'étranger l'empêchait de subir les réprimandes des employés et des clients de la taverne. Pour cela, elle lui devait une fière chandelle. Du coup, Nëssa commençait à réaliser qu'il serait peut-être préférable d'accorder une plus grande attention à cet individu. Il ne ressemblait pas aux autres « agresseurs » qu'elle avait croisés auparavant.

L'homme à la chevelure de lumière se leva de sa chaise, puis déposa une clé sur la table. Apparament, il venait de lui offrir sa chambre afin que l'étrange créature puisse passer la nuit bien au chaud. À cet instant, l'incompréhension gagna le coeur de la blonde. Pourquoi donnait-il cela à une parfaite inconnue ? À ses yeux, elle ne méritait pas qu'on lui tende un cadeau pareil. « Attendez ! Ne partez pas tout de suite ! S'exclama-t-elle, essayant de retrouver des forces et luttant contre cette cruelle envie de dormir. Même si l'hôte de l'Oiseau de feu n'avait pas toute sa tête en ce moment, elle n'était pas le genre de personne à se foutre de son entourage, enfin, pas de ceux qui lui apportaient une certaine assistance. Vous semblez connaître des choses sur le genre de pouvoir que j'utilise. Je peux vous être utile, si vous êtes capable de me montrer des pistes au sujet de leur contrôle. » Son visage prit un petit air joyeux, en signe de reconnaissance. Peut-être qu'il choisirait de rester, si elle se montrait davantage ouverte.

N'ayant pas l'énergie ni l'imagination de raconter n'importe quoi, la demoiselle aux capacités psychiques se contenta de dire le nécessaire, loin de se perdre au coeur de ses délires habituels. En temps normal, elle lui aurait probablement parlé de ses histoires d'extra-terrestre ou de quelque chose du genre. Bref, ce n'était pas plus mal. En adoptant un comportement moins enfantin, la belle risquait moins de saouler son cher interlocuteur. « Je suis Phoenix et vous, quel est votre nom ? » demanda-t-elle. Ses prunelles, désormais devenues violettes, ne quittèrent pas le corps de l'étranger. Non, il ne pouvait pas partir maintenant! Il était encore trop tôt pour en tirer une conclusion.

La demoiselle se sentait un peu bizarre de retenir son interlocuteur blond ainsi. Après tout, peut-être qu'il avait mieux à faire ailleurs. Il n'avait probablement pas le temps ni l'envie de s'attarder sur le cas d'une petite idiote dans son genre. Cette sensation de gêner son entourage n'était pas des plus agréable. Malgré cela, l'homme répondit aux interrogations de la jeune femme égarée. Ces derniers jours, elle avait appris à dialoguer avec les gens, sans paraitre trop étrange, et savait que les choses allaient mieux, lorsqu'on connaissait le prénom de son compagnon.

« Enchantée, Masaki. C'est un très joli nom que vous avez là. » dit-elle, n'hésitant pas à lui offrir un sourire à la fois amusé et chaleureux. À vrai dire, Nëssa trouvait que ce personnage dégageait une certaine aura de mystère. En effet, elle ne parvenait pas à lire en sa personne ni détecter des brides de son passé, comme elle pouvait le faire avec tous les autres. Il s'agissait sûrement d'un magicien possédant des pouvoirs spirituels assez conséquents, ce qui l'empêchait, malheureusement, de l'analyser sur la première couche. Bref, la télékinésiste réalisa à quel point il lui restait du chemin à faire et qu'il était encore très facile pour n'importe qui de bloquer ses capacités psychiques. Il avait besoin d'un individu qui saurait la guider, durant cette longue route.

En tout cas, ça ne serait pas aujourd'hui que la belle allait se dénicher un maître, car l'étranger à la chevelure lumineuse avoua son incapacité à l'aider dans ce domaine. Affichant une mine un peu triste, elle baissa les yeux, déçue par la réponse qu'elle venait de recevoir. Sa plus grosse peur était de devoir travailler seule et de ne déceler personne capable de l'assister au sein de son apprentissage. L'hôte de l'Oiseau de feu n'avait pas vraiment confiance en elle-même, enchaînant les défaites et les humiliations, son estime personnelle ne pétait pas des scores.

Masaki lui expliqua ses motivations ainsi que ses raisons d'agir. Au final, cela possédait un lien très vague avec ce que désirait accomplir notre jolie demoiselle aux prunelles violettes. Peut-être que ça pourrait l'aider à retrouver sa mémoire et le contrôle de ses pouvoirs magiques. « Ah, c'est sûrement eux qui ont caché mes souvenirs. Vous pensez que ce sont les mêmes responsables ? Genre, ils volent les techniques et la mémoire des gens. Je me demande ce qu'ils peuvent en faire. Avez-vous une idée ? La princesse se leva de sa chaise afin d'aller rejoindre son interlocuteur. D'ailleurs, celui-ci lui proposa de « veiller » sur elle, pendant un laps de temps. Que voulait-il dire par là ? Ok, vous pouvez veiller sur moi, même si j'ignore totalement ce que ça signifie, haha ! Au fait, vous savez pourquoi ces gens ne sont pas capables de nous voir ? J'ai quand même brisé des fenêtres. Oh, et ça vous dit de sortir d'ici ? Je n'aime pas trop cette ambiance. »

Elle avait beau essayer de toutes ses forces, mais il était vraiment difficile pour la demoiselle aux prunelles violettes de comprendre les paroles du grand blond. La plupart des choses qu'il racontait sonnaient comme un ramassis de n'importe quoi, lors que l'information pénétrait à l'intérieur de ses petites oreilles fatiguées. Décidément, se coucher tard n'était pas une bonne affaire, et cela pouvait même devenir plutôt dangereux. À cette heure, le comportement de la belle ressemblait étrangement à celui d'une personne sous les effets de l'alcool. Par chance, son compagnon de soirée lui sauvait un peu la mise avec son étrange talent magique.

« Ah oui, je vois. Oh, d'accord. Vous avez absolument raison et je pense même que c'est à cause de ce phénomène que votre chevelure est rose. Vous savez, ce n'est pas donné à tout le monde d'avoir les cheveux de cette couleur. » affirma-t-elle d'une voix sérieuse, ne se doutant absolument pas du ridicule ultime de ses propos. Après tout, elle était passée maître dans l'art d'être parfaitement illogique. Dans tous les cas, cet étranger aux mystérieuses capacités possédait une grande gentillesse. Tout le long de la nuit, la princesse pourrait dormir tranquillement sur ses deux oreilles. Excellente nouvelle !

Doucement, la jeune femme se leva de sa chaise, sans oublier de prendre les clés de la chambre. Quand elle arriva à la hauteur de Masaki, son regard se figea courtement sur lui, puis quelques mots très anecdotiques sortirent de sa fine bouche. « Je pense que ce sont les extra-terrestres qui vous ont fait cela. » Comme si de rien n'était, la future pyromane continua son chemin et quitta l'établissement par l'entrée principale, tout en s'assurant que son protecteur suive bel et bien ses pistes. À peine quelques pas plus tard, le duo se trouvait déjà à l'intérieur la pièce qui leur était destinée.

Contente de pouvoir enfin dormir dans un bon lit confortable, l'élue se précipita sur celui-ci, faisant preuve d'une énergie comparable à celle d'une gamine de cinq ans. Posant finalement ses fesses sur le matelas, ses yeux de fillette ne bougèrent pas l'individu qui l'accompagnait. « J'aimerai entendre une histoire. » dit-elle, souriante. Soudain, la porte derrière le jeune homme se referma et se verrouilla toute seule, ne lui laissant pas le choix de céder à ses caprices. La demoiselle continua d'afficher un air enjoué. Malgré toute cette fatigue, il fallait croire que la situation actuelle parvenait à l'amuser.